De la (difficile) validation scientifique.
« Trop de science tue la science. »
Le décret n°2000-577 du 27 juin 2000 relatif à la profession de Masseur-Kinésithérapeute, précise que : « Le MK participe au développement de la recherche en ce qui concerne son exercice », la règle de base étant la reproductibilité (reproductibilité du modèle d’examen du patient, reproductibilité des résultats). L’Agence Nationale de l’accréditation et de l’Evaluation en Santé (ANAES), est chargée d’évaluer et de valider les outils kinésithérapiques. Pour être validée et mériter une reconnaissance nationale ainsi qu’une large diffusion, ainsi que dans le cadre de la « démarche qualité », une méthode de soins doit absolument se plier à un formatage défini par le standard nommé IMRAD, qui se traduit ainsi : « I » pour introduction, « M » pour matériel et méthodes, « R » pour résultats, « A » pour and (et), « D » pour discussion. Celles qui ne passeront pas sous ces fourches caudines seront mises au ban, proscrites.
Auparavant et durant des décennies, le MK n’était pas tenu de justifier du choix de ses méthodes. Il se doit désormais de devenir un «Agrégé Es-papouillothérapie».
Pourtant soyons clair et précis, le métier de kinésithérapeute n’existera jamais en tant que discipline scientifique. Gageons qu’aucune étude rigoureuse ne pourra jamais analyser précisément les mécanismes neurophysiologiques complexes permettant d’expliquer les bienfaits réels de la rééducation. Désirer, selon des critères biomédicaux rigoureux, homologuer une méthode visant à traiter la douleur par exemple, l’une de nos préoccupations majeures, génèrera toujours des doutes quels que soient les critères scientifiques choisis, du fait de l’influence du psychisme dans l’affaire. Si on prend un autre exemple, la bronchiolite, on s’aperçoit que la méthode anglaise-standard est basée sur les vibrations, les techniques de percussion, ainsi que le drainage postural (Conventional Chest physiotherapy) ; alors qu’en France nous privilégions les méthodes d’augmentation du flux respiratoire. Qui a raison, qui est « dans la science » ? Le jugement sur l’exercice de la kinésithérapie est également faussé parce qu’entre deux praticiens pratiquant la même technique, l’un sera efficace parce qu’il est tout bonnement doué, l’autre non.
« Il n’y a pas d’événement, il n’y a que des interprétations ! », disait Nietsche.
Etant donné qu’il y a toujours des hommes et rien que des hommes fatalement faillibles et influençables, pour traduire un fait auquel ils ont assisté, pour le raconter ou l’interpréter, le valider ou le réfuter, on ne peut en effet raisonnablement parler que d’ « interprétation ».
En fait, en tant que connaissance absolue la certitude scientifique n’existe pas. La science n’apporte pas de réponse définitive mais construit les « savoirs », et tente maladroitement de faire le distinguo entre le réel et le possible. L’« hypothèse de recherche » invente une vérité qui devra être vérifiée par des collections de faits cohérents, des expériences méthodiques, des expérimentations en double aveugle. Hélas au travers d’une telle démarche, l’identification de facteurs prédictifs, par exemple, est problématique. Par ailleurs, si on se réfère à un processus pathologique chronique, les études rétrospectives sont sujettes à caution car il est a posteriori très difficile de séparer les causes, des conséquences, de cette évolution chronique.
Du fait de cette obsession européenne du « tout science et uniquement science », certaines techniques rééducatives élevées au statut de dogme durant des décennies, ayant même donné d’excellents résultats, sont aujourd’hui délaissées ou abandonnées. Il en est ainsi de la méthode Bobath en neurologie (pour le traitement des hémiplégiques). Dans le traitement des maux de dos, surtout en ce qui concerne la colonne lombaire, la méthode McKenzie, très en vogue dans les pays anglo-saxons, bénéficie d’une généreuse validation scientifique. Cependant beaucoup d’études la concernant souffrent de faiblesses méthodologiques, et son efficacité est encore insuffisamment documentée. Par ailleurs des études récentes analysant l’option chaleur dans le but de réduire la douleur en cas de lombalgie, donnent l’avantage à la chaleur contre les exercices MacKenzie. Alors, faut-il user de chaleur qui relève pour beaucoup de scientifiques de l’effet placebo, ou de la très scientifique méthode Néo-Zélandaise MacKenzie ?
L’une des failles de cette façon de « penser tout science » tient en un mot : perfectionnisme. La science alimente la science en un débat sans fin, et ne se satisfait jamais de ses conclusions.
Nous ne pouvons pas nous alimenter d’une approche uniquement médico-scientifique du champ thérapeutique de notre profession, il s’agit d’avoir une vision moins manichéenne. Il faut accepter le fait que certaines méthodes de soins soient impossibles à valider, parfois même en contradiction avec la science, et continuer à en user si elles sont efficaces (et sans danger).
Dans un article de la revue « kinésithérapie scientifique » de Juillet 93, Eric Viel, Docteur Es-Sciences, aujourd’hui décédé, et l’un des pères fondateurs de notre profession, disait : « En dépit de ce que voudraient nous faire croire nombre de nos confrères, il n’y a rien de scientifique dans notre métier, tout est technique. Ceci est également vrai pour la médecine et la chirurgie ».
1 De Truchi Pierre -
Bonjour Gilles,
Je viens de corriger 19 mémoires de DEMK 2012 car je suis enseignant de longue date dans 2 IFMK (institut de formation en masso-kinésithérapie), et ton article me fait réagir à chaud, car sur ces 19 mémoires, plus de la moitié peuvent être considérés comme "scientifiques".
Je place le mot entre guillemets, parce que si la démarche est scientifique au départ, la majorité ne peut aboutir à une conclusion valide quand une étude porte sur des échantillons en petit nombre de population.
Cependant l'épreuve finale du diplôme d'état qui commence cette semaine se passe devant un jury, composé d'un médecin et de 2 MK, dont 1 est CSK (cadre de santé kinésithérapeute, dont je suis) enseignant dans l'IFMK local.
Je peux te dire, que depuis qu'étudiants et enseignants sont formés à la méthodologie scientifique et notamment à la pratique des statistiques, les médecins présidents des jurys sont émerveillés de voir le niveau très élevé des travaux effectués par des élèves qui ont quand même un bac + 4. Ceci même si les résultats ne débouchent pas toujours sur une réussite immédiate, peu ayant de conclusions validées.
Bien que je sois d'accord avec toi sur le fait que la masso-kinésithérapie reste un "art" que chacun exerce de son mieux, avec les capacités qui lui sont propres, il faut reconnaître que des progrès dans la pratique étaient, sont toujours nécessaires et rendus possibles par cet esprit de recherche ; que ces progrès sont au début de leurs applications quotidiennes ; qu'ils ne sont que des petits pas mais qu'ils nous positionnent dans la "posture du chercheur" différente de l'empirisme constaté assez couramment dans nos enseignements passés.
Donc, pour moi, ce que tu dis est vrai en partie (tu te réfères d'ailleurs à Eric Viel, qui a été un des pionniers de cette évolution scientifique incontournable de notre profession).
Merci et tout cas pour cet article très clair et pour ton blog en général, que je découvre avec plaisir.
TP
2 De Gilles Orgeret -
Très cher Pierre,
Aussi bien dans le champ de la kinésithérapie que dans tout autre, il n’y a pas de vérité absolue : la science n’est pas intrinsèquement vérité-absolue. Je préfère évoquer les concepts d’efficacité, d’innocuité, de bon sens-thérapeutique moins froids et donc plus adaptés aux mammifères à sang chaud que nous sommes.
En 1993 paraissait un livre de Francis Fukuyama « La fin de l’histoire », que les économistes ont longtemps considéré comme une bible. Il affirmait que notre système de démocratie libérale était un « parfait » aboutissement à même de résoudre tous les problèmes (chômage, environnement). On sait aujourd’hui que c’est faux. Pire, ce système est parfaitement inadapté à bon nombre de peuples qui n’y accèderont jamais, parce qu’il n’est tout simplement « pas dans leurs gênes ».La kinésithérapie scientifique n’est pas la « fin de l’histoire » ! Bon nombre de nos patients y sont, et y seront toujours, réfractaires. Il nous faut pourtant les bien-soigner, au risque de les voir tomber entre les mains de charlatans.
Je suis entièrement d’accord sur le fait qu’il faille promouvoir l’esprit de recherche dans notre métier, mais peut-être faut-il le faire plus en artiste qu’en rat de laboratoire. Le génie flirte parfois avec la folie.
Je suis également ravi que les médecins Présidents des jurys pour le D.E. de Masseur-Kinésithérapeute soient émerveillés par le niveau très élevé des travaux effectués par les élèves. Cela prouve que nos jeunes sont notre « bel » avenir. Que se taisent un peu les rabat-joie de tous poils qui ne cessent de nous seriner qu’«on est foutus !», car je m’émerveille également au quotidien de rencontrer dans ma pratique professionnelle autant de jeunes de tous bords, de toutes origines sociales, et pas seulement prétendants-kinés, aussi formidables !
Mon amitié et mon estime, cher Pierre.